Lettres à Savile Clarke
choisies, traduites et présentées par Alexandre RÉVÉREND
Article publié dans L'autre Journal en décembre 1990
LE SPECTACLE
Lewis Carroll était un passionné
de théâtre. On ne s'étonnera donc pas que le succès
immédiat d'Alice au pays des merveilles l'ait très
tôt amené à envisager une adaptation scénique.
Pendant près de vingt ans, Carroll va négocier avec toutes
sortes d'auteurs et de compositeurs. Ainsi approchera-t-il Arthur Sullivan,
cosignataire avec W. S. Gilbert des opérettes les plus
célèbres de l'époque. Dans la plupart des cas, l'absence de
moyens de production sérieux mais aussi les multiples exigences de
Carroll semblent rebuter l'un après l'autre les intéressés.
Et pourtant, durant toutes ces années, l'écrivain ne cessera
d'inscrire minutieusement dans ses carnets les noms des actrices enfants qu'il a
remarquées et qui feraient d'excellentes Alice.
Or, en 1886, Carroll est contacté par un
critique et auteur dramatique, Henry Savile Clarke. Il souhaite porter
Alice à la scène, et il va se montrer très patient
et ouvert. C'est le début d'une longue correspondance dont les pages
suivantes reproduisent de larges extraits. Carroll deviendra l'ami de la famille
Clarke et plus particulièrement des trois fillettes : Katherine,
Clara et Margaret.
Savile Clarke se lance bientôt dans l'écriture d'une adaptation
du texte de Carroll, et c'est là l'un des grands mystères de cette
période. Comment Lewis Carroll, doué comme il l'était pour
le dialogue (il suffit pour s'en convaincre de relire les scènes
d'Alice et les deux Reines), a-t-il pu manquer à ce point de
confiance en lui et laisser Savile Clarke, auteur mineur, écrire
l'adaptation à sa place ? On peut sans doute chercher des
éléments de réponse dans sa tentative d'écriture
théâtrale (Nuages matinaux), jugée médiocre
par plusieurs de ses amis. Carroll se met d'emblée à
l'écart, se contentant du rôle plus tranquille mais frustrant de
" l'auteur qui a donné son accord ". Ce qui ne
l'empêchera pas de tirer quelques ficelles à distance et de tenter
d'influer sur plusieurs scènes, afin de les faire échapper soit
à la niaiserie, soit, plus grave, à ce qu'il considère
comme des atteintes à la décence. Savile Clarke va retenir
certaines des propositions de Carroll, et en rejeter poliment beaucoup
d'autres.
La forme de spectacle qui a été retenue d'un commun accord est
l'opérette ; Walter Slaughter, le compositeur choisi par le metteur
en scène, réalisera un travail remarquable.
La première a lieu à Londres le 23 décembre 1886 au
Prince of Wales Theatre, mais Carroll attend une semaine pour y assister.
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