« Entre 1976 et 1984, j'ai passé le plus clair de mon temps
à écrire, composer, enregistrer et chanter des chansons.
Tout cela avait démarré à la suite d'un petit bluff :
J'avais 17 ans et je venais d'écrire un poème
"Trollerie" (sorte de fresque surréalisante inspirée
d'un voyage en Suède).
Un soir, pour connaître la valeur de ce texte, je me suis
décidé à le faire lire à ma mère,
prétendant qu'il s'agissait de la traduction d'une chanson d'Elton John.
Il faut préciser que j'étais un véritable fan du lunetteux,
encore fréquentable à l'époque (coupures de journaux
collées dans un classeur, concerts en Angleterre, partitions
jouées au piano, traduction des paroles...)
Ma mère a-t-elle réellement aimé le texte ou a-t-elle
compris ma tentative ? Je ne l'ai jamais su. Toujours est-il que mon
poème était présenté le soir même à mon
père qui émettait le même avis favorable. Mis en confiance,
j'avouais bientôt et mettait ainsi sans le savoir mon doigt de pianiste
dans un engrenage qui allait durer huit ans.
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En 1984, mon quatrième album était sur le point de sortir, j'avais
signé pour une semaine de concerts au 'Théâtre de la Ville'
à Paris. Une carrière ascendante, des ventes d'albums encore
poussives mais un fort soutien de la presse, d'amateurs fidèles, ainsi
que de nombreux concerts en France, Suisse et Belgique.
Je me souviens m'être réveillé un matin avec le
pressentiment très clair que toute cette aventure allait prendre fin. Ca
doit être un peu la même chose lorsqu'on réalise qu'on n'aime
plus la personne qui partage sa vie. Sur le coup, je me suis dit que l'envie
allait revenir, que ça n'était qu'un passage. Mais, une vingtaine
d'années plus tard, ce désir n'a toujours pas repointé le
bout de son nez...
Comme un bateau qui coupe ses moteurs, j'avais assez d'élan pour remplir
mon engagement et chanter avec plaisir devant le millier de spectateurs venu
chaque soir au Théâtre de la Ville. Le souvenir magnifique de ces
six concerts restera gravé à jamais dans mon esprit. J'ai tout
arrêté dans les semaines qui suivirent.
J'avais fait le tour d'un jeu démarré à l'âge de 17
ans. J'en avais 25. La vie semblait vraiment trop courte pour ne s'en tenir
qu'à un mode d'expression. Les trois minutes d'une chanson devenaient
bien étroites : pourquoi s'entêter à peindre sur un timbre
poste des histoires qui nécessitaient de plus en plus le format d'un
tableau ?
Pour être totalement honnête, je dois avouer que dans un coin de ma
tête une petite voix me soufflait : les gens ne te laisseront pas
arrêter comme ça, ils insisteront lourdement pour que tu changes
d'avis. Mais, à part celle prévisible de ma mère, pas une
voix ne s'est véritablement élevée, ou alors par politesse.
C'était un peu vexant, mais d'un autre côté, ça a
rendu mon évasion tellement plus simple... »
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